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Cheveux, barbes, que d’histoire(s)

Ils sont l’objet d’une attention particulière, qu’il soit question de les cacher, de les couper ou de les arborer fièrement. Cheveux et barbes ont pourtant des significations et des origines très diverses où se mêlent croyances, symboles culturels et une pointe de politique.

Difficile d’établir avec justesse une « géographie du poil » face à la grande diversité des pratiques : depuis le crâne lisse des moines bouddhistes jusqu’à la barbe fournie des patriarches chrétiens orthodoxes en Europe et au Moyen-Orient, en passant par les papillotes (peot en hébreu) des pratiquants juifs ultraorthodoxes, sans oublier les longues chevelures suggérées par de gros chignons dont on devine la forme sous certains voiles islamiques.

Que signifient ces usages ?

Ils n’ont pas forcément le même sens selon qu’ils s’adressent aux clercs ou aux laïcs. La coupe de cheveux et la barbe permettent d’ailleurs parfois de distinguer les uns des autres. C’est le cas des clercs catholiques, qui ont longtemps pratiqué un rite de tonsure pour marquer le passage de la vie de laïc à celle de religieux. La différenciation était poussée à l’extrême, puisque les « frères convers », des laïcs qui travaillaient dans certains monastères, devaient garder les cheveux longs et ne pas se raser la barbe pour bien les distinguer des moines. Cette tonsure, obligatoire au Moyen-Âge, n’est plus indispensable depuis 1972 sur décision du pape Paul VI.

En Occident, barbes et longues chevelures broussailleuses sont souvent l’apanage des saints chrétiens. Ils sont aussi l’attribut des ermites tels qu’on peut les voir dans l’iconographie classique, en signe de renoncement à la société humaine. Il en est de même pour les nazirs, fidèles juifs qui font le vœu de se consacrer à Dieu temporairement. Les nazirs ont interdiction formelle de se couper les cheveux durant cette période d’abstinence. A contrario, les moines bouddhistes rasent leurs cheveux en signe de détachement du monde physique et matériel.

Faire don de tout, ou d’une partie de sa chevelure, n’est pas un rite réservé aux clercs. À Palani, en Inde, un temple pratique la tonte 24 heures sur 24 afin que les fidèles hindous puissent faire don de leurs cheveux aux dieux Vishnou ou Murugan. Les croyants attendent de ce sacrifice qu’il les protège des difficultés financières ou qu’il exauce un vœu cher. Sans aller jusqu’au rasage complet pour les femmes, les musulmans qui accomplissent le pèlerinage à La Mecque se font couper les cheveux avant le dernier rituel – une circumambulation autour de la Kaaba (construction en forme de cube).

Répondent-ils à des commandements divins ?

Depuis l’Antiquité, cheveux et barbes sont plutôt un attribut du pouvoir ou les marqueurs d’une classe sociale. En Mésopotamie, les rois arborent des barbes bouclées. Dans l’Égypte ancienne, les femmes de la classe aisée portent souvent une abondante perruque. Les Pharaons se font poser des postiches en carton au niveau du menton. Le symbole est tel que la reine Hatchepsout (IIe siècle avant notre ère) est elle aussi affublé d’une fausse barbe. Les prêtres égyptiens, de leur côté, étaient entièrement rasés. Dans la Grèce antique, les dieux de l’Olympe sont barbus. Un peu plus tard, ce sont les philosophes qui se réapproprient la barbe et en font un signe de sagesse. Les Romains, par opposition aux Grecs, et par conviction que le poil était le reflet d’une animalité certaine, préfèrent être rasés de près.

Du côté de l’Inde, la coiffure marque l’appartenance à une caste durant la période védique (entre -1500 et -600 environ). C’est à cette époque que naît la coupe sikha, une mèche de cheveux sur un crâne rasé réputée permettre aux dieux de tirer les fidèles vers le ciel.

« Par la suite, cette coupe demeurera l’apanage des brahmanes, la caste des lettrés et des prêtres, le reste de la population portant le cheveu long », explique l’ethnologue Michel Messu.

Dans l’islam, un hadith [parole attribuée au Prophète qui ne figure pas dans le Coran] recommande aux musulmans de se distinguer des « polythéistes ». Les barbes, parfois surmontées d’une moustache rasée, et le voile islamique étaient assez surement des signes de reconnaissance dans l’Arabie du VIIe siècle. Barbes et moustaches restent des signes de beauté dans de nombreux pays d’Orient. Ils peuvent marquer un conservatisme religieux, à l’instar des salafistes (quiétistes dans leur grande majorité) qui portent toujours cet attribut pileux, voire un intégrisme dans le cas des talibans d’Afghanistan qui avaient imposé le port de la barbe aux hommes de la région. Depuis quelques années, les radicaux qui invoquent la religion pour justifier leurs actes sont surnommés « les barbus ». En Israël, les laïcs donnent le même surnom aux juifs ultraorthodoxes.

Ces derniers portent des papillotes, appelées peot en hébreu. Il s’agit de deux longues mèches de cheveux situées au niveau des oreilles. Cette pratique est liée à un verset de la Bible hébraïque : « Vous ne couperez point en rond les coins de votre chevelure, et tu ne raseras point les coins de ta barbe » (Lev 19:27). Cette injonction marquait sans doute une volonté de différencier les juifs des autres croyants. Elle n’est plus respectée que par les pratiquants les plus orthodoxes, appelés haredim (littéralement « craignant Dieu »). Les femmes ultraorthodoxes, dès qu’elles sont mariées, ont l’obligation de dissimuler leurs cheveux. Pour ce faire, elles portent souvent des perruques.

Chez les sikhs – monothéisme pratiqué au Pendjab, une région située entre l’Inde et le Pakistan – les cheveux ne doivent pas être coupés pour respecter l’œuvre de Dieu. Le turban qui les entoure devient alors autant une protection des cheveux qu’un signe de reconnaissance pour ces fidèles. Leurs attributs capillaires n’ont rien d’hirsute. Les sikhs portent une grande attention à l’entretien de leurs cheveux et de leurs barbes soigneusement peignées.

Pour les rastafariens, dont le mode de vie est inspiré du Livre des Nombres de la Bible, les restrictions sont plus nombreuses : non seulement ils ne doivent pas couper leurs cheveux, mais ils ne doivent pas non plus les coiffer, d’où le port de « dreadlocks », devenues le symbole d’un mode de vie qui refuse la mondialisation et la standardisation.

Ont-ils évolué ?

La signification des attributs pileux peut varier au grés des modes et des époques, voire au sein d’une même confession. À commencer par les chrétiens, pour lesquels mettre en vis-à-vis une photographie du pape catholique romain et d’un patriarche chrétien orthodoxe peut s’avérer très parlant : le pape François s’affiche le menton glabre quand Bartholomée, primat de l’Église de Constantinople, arbore une barbe très dense.

La barbe a d’ailleurs été un des sujets de discorde entre ces chrétiens occidentaux et orientaux avant leur séparation irrémédiable en 1054. Une règle du Ve siècle, peu suivie, voulait qu’aucun prêtre ne devait se laisser pousser les cheveux ou raser sa barbe. En 816, un concile dédié à la « discipline ecclésiastique » à Aix-la-Chapelle, préconise aux religieux de ne se raser que tous les quinze jours. Certains chrétiens orientaux ne respecteront pas cette obligation, parfois pour des raisons pratiques : leur barbe leur permettait de s’identifier en tant que moines aux frontières de l’Empire byzantin. Il n’empêche que barbes et cheveux sont cités dans la charte d’excommunication du 16 juillet 1054 qui marquera la rupture définitive entre chrétiens catholiques romains et chrétiens orthodoxes : « laissant pousser barbe et cheveux, ils refusent la communion à ceux qui se coupent les cheveux et qui, selon les principes de l’Église romaine, se rasent la barbe », accuse le document du légat du pape romain. Lorsque l’Église anglicane se séparera de l’Église catholique, au XVIe siècle, Thomas Cranmer, principal artisan de la Réforme anglaise et archevêque de Cantorbéry, arbore une longue barbe. Officiellement, il s’agit d’un signe de deuil.

Cette différence existe-t-elle toujours ?

La frontière entre un Occident glabre et un Orient à la barbe fournie reste d’actualité selon Samir Hammal, maître de conférence à Sciences Po : « il reste un endroit où le poil veut encore dire quelque-chose : c’est l’Orient. Cela est vrai notamment en terre d’islam, que ce soit chez les sunnites ou les chiites », note-t-il dans un grand article dédié au poil en politique. Il analyse la rivalité sunnite/chiite à l’aune de la barbe des Saoudiens et des Iraniens : « C’est peut-être à qui incarnera le mieux le vrai visage de l’islam. Du point de vue de la barbe, avantage aux iraniens », conclut-il en soulignant que le roi saoudien porte une moustache et un bouc long plus travaillés.

Le chercheur s’interroge aussi sur le rapport entre la moustache et la laïcisation du pouvoir – souvent forcée – dans les pays musulmans. Il cite le président Gamal Abdel Nasser en Égypte, Hafez al-Assad puis son fils Bachar en Syrie ainsi que Saddam Hussein pour l’Irak. « La Turquie est l’un des pays où les symboliques pileuses faciales sont en étroite relation avec l’imaginaire politique et religieux », analyse Samir Hammal. Kémal Atatürk (1881-1938), fondateur de la Turquie laïque où le pouvoir contrôle les religieux, a interdit le port de la barbe et de la moustache dans les administrations et les casernes. Selon ce spécialiste, aujourd’hui encore, les différentes tendances politiques s’illustrent dans la forme de la moustache : « à la Gengis Khan pour les ultra-nationalistes ; épaisse et broussailleuse pour les militants d’extrême-gauche ou les kurdes ; courte et en amande pour les “islamistes modérés” ».

Quid de la symbolique politique ?

« En fonction du sens donné au poil à une période donnée, le pouvoir politique imposera à ses sujets une marque pileuse d’obédience », souligne l’historienne Marie-France Auzépy, directrice d’Une histoire du poil. Par exemple, en Chine, la dynastie Qing [le mot signifie « pureté »] qui arrive au pouvoir au milieu du XVIIe siècle, impose à ses sujets de porter une longue natte sur un crane en partie rasé. Tout contrevenant est passible de mort selon un décret de 1645 qui stipule que « qui conserve sa tête ne conserve pas ses cheveux. Qui conserve ses cheveux ne conserve pas sa tête ». L’obligation restera en vigueur jusqu’à l’effondrement de la dynastie en 1911.

Chez les Lombards, entre le VII et le VIIIe siècle, barbes et cheveux sont au cœur de rapports de force importants : Charles Martel, qui souhaitait entériner une alliance avec ce peuple italien, envoie son fils tailler la chevelure du roi Liutprand. En 774, lorsque Charlemagne prend le contrôle de la Lombardie, il exige que les sujets se rasent la barbe. On accèdera à toutes ses autres demandes, mais pas au rasage, vécu comme une trop grande humiliation.


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