Accueil Laïcité Société “L’Europe sous-estime beaucoup la valeur de sa propre citoyenneté ”

“L’Europe sous-estime beaucoup la valeur de sa propre citoyenneté ”

Tony Venables, ancien directeur du service d’action des citoyens européens.

La citoyenneté européenne, un outil pour prévenir la montée des nationalismes ? C’est la thèse défendue par Tony Venables dans Vers un citoyen européen (Éditions Charles Léopold Mayer, 2016). Cet Anglais, ancien directeur et fondateur du Service d’action des citoyens européens (European Citizen Action Service (ECAS)), formule différentes propositions pour renforcer la citoyenneté européenne, et améliorer le vivre-ensemble.

Comment définir la citoyenneté européenne ?

Tony Venables : Il existe une définition officielle dans les articles 18 à 25 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Il précise que cette citoyenneté s’ajoute à la citoyenneté nationale pour tous les ressortissants d’un pays membre et que cela ouvre un certain nombre de droits : circuler librement – à condition d’avoir une assurance maladie et de dis- poser des ressources suffisantes –, voter pour les élections locales et européennes, mais aussi y être candidat, pouvoir accéder aux services consulaires d’une ambassade, lancer ou signer une initiative européenne pour demander l’examen d’une loi au Parlement européen. Ce texte assoit un principe d’égalité de traitement avec les nationaux. Cette définition me semble assez limitative.

Quelle est l’originalité de cette citoyenneté ?

Elle est transfrontalière, ce qui est unique au monde. Il n’existe pas de citoyenneté identique dans l’histoire récente. Il faut remonter à la Grèce ou à la Rome Antique pour trouver quelque chose de similaire. Cette citoyenneté transnationale existe dans nos mémoires collectives, c’est un pan de l’histoire et de notre culture commune, ce qui peut expliquer pourquoi cette idée est populaire dans les sondages.

Quand apparaît-elle ?

L’idée n’est pas née avec l’Union Européenne, mais la formalisation de cette citoyenneté européenne est assez récente puisqu’elle figure dans le Traité de Maastricht (1993). Elle s’ancre dans l’histoire, les traités, mais aussi la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. Cette citoyenneté est plus utilisée que ce qu’on imagine. Les études sociologiques indiquent qu’environ 30% de la population effectue des transactions, des visites, des études, ou trouve un travail au-delà des frontières nationales.

En quoi peut-elle nous aider à mieux vivre-ensemble ?

La cohésion est un fondement de la citoyenneté européenne. Elle est une façon de lier différentes citoyennetés, différentes langues et différentes cultures. Cela ne peut se faire que sur la base de valeurs comme le respect mutuel, la tolérance, l’égalité de traitement. Il y a beaucoup de questions autour des valeurs européennes, personne ne sait ce que c’est exactement. Dans le livre, je propose à la société civile de s’emparer de cette question pour essayer de les définir ensemble et que cela ait un impact fort. Développer et renforcer la citoyenneté européenne, c’est réformer la façon de voir l’Europe en général. Actuellement, l’Europe officielle sous-estime la valeur de sa propre citoyenneté, elle adopte une approche prudente à ce sujet. Elle fait profil bas, les programmes sont éparpillés, sans doute de façon un peu délibérée car la question est sensible. Je propose au contraire de les regrouper et de rendre plus visible cette citoyenneté transnationale.

Cette société civile est-elle prête à se mobiliser dans le contexte de montée des nationalismes ?

Les nationalistes supposent un conflit entre le fait d’être un citoyen national et un citoyen transnational. En période de crise, on se replie sur la citoyenneté en laquelle on a le plus confiance : celle qui est nationale. En réalité, la citoyenneté européenne est une valeur ajoutée. Si vous êtes ressortissant d’un pays membre, vous disposez de droits supplémentaires, partout en Europe. Dans certains pays où les droits fondamentaux sont menacés, comme la Hongrie ou la Pologne, on voit beaucoup de manifestants brandir des drapeaux européens, faire des références au droit et aux valeurs européennes. C’est assez paradoxal. Avec les menaces qui planent sur Schengen, des gens se rendent compte qu’on ne peut pas se contenter d’être citoyen européen, mais qu’il faut défendre et promouvoir ce statut. La période est finalement assez favorable, plus que lorsque le Traité de Maastricht a été signé. Il faut que chacun, surtout les jeunes, s’empare de la citoyenneté européenne et soit convaincu que c’est important.

L’école peut-elle participer à ce processus ?

C’est essentiel, il existe une charte du Conseil de l’Europe sur l’éducation à la citoyenneté et aux droits de l’Homme à laquelle tout le monde adhère. Mais l’écart entre l’intention et la pratique subsiste. Il est difficile de trouver des exemples concrets d’actions qui ont eu des effets et il existe des différences énormes en matière d’éducation civique d’un pays à l’autre. D’autre part, nous sommes d’accord sur les dénominateurs communs de l’histoire européenne que nous rejetons, la Shoah et le stalinisme. Il est plus difficile de faire émerger des évènements communs positifs. L’enseignement de l’histoire, souvent lié à celui de l’éducation civique, est un domaine très lié à la citoyenneté nationale, et il est très sensible du point de vue politique.

Manque-t-il des symboles aux jeunes pour s’approprier la citoyenneté européenne ?

Il y en a déjà, un drapeau, un hymne, mais ils sont discrets. Il faudrait les rendre plus forts pour construire une identité européenne. On pourrait instaurer une carte au recto nationale, au verso européenne. Ce serait un symbole fort, mais aussi un outil pratique qui permettrait de se faire reconnaître partout en Europe sans devoir produire des papiers originaux traduits, et qui permettrait d’exercer plus facilement ses droits, comme signer une pétition citoyenne. Mais la citoyenneté est aussi très liée à la démocratie. Il n’y aura pas de vraie citoyenneté européenne s’il n’y a pas plus de participation démocratique et une meilleure éducation des jeunes sur l’Europe. Je pense aussi qu’il faudrait donner à chacun l’opportunité de suivre un programme européen. Pour l’instant, la citoyenneté européenne profite surtout aux étudiants en Erasmus. Tous les citoyens européens n’ont pas le sentiment d’être dans le même bateau.

Propos recueillis par Louise Gamichon