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La tolérance selon Mirabeau

Honoré Gabriel Riquetti, comte de Mirabeau (1749-1791), est un révolutionnaire connu pour ses talents d’orateur. Bien qu’issu de la noblesse, celui qu’on surnomme la « Torche de Provence » est député du Tiers-État aux États généraux de 1789. Il participe à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, texte dans lequel il défend une liberté de culte au cours de deux séances parlementaires, dont voici quelques morceaux choisis.

Séance du 22 août 1789

Je ne viens pas prêcher la tolérance. La liberté la plus illimitée de religion est à mes yeux un droit si sacré, que le mot tolérance, qui voudrait l’exprimer, me paraît en quelque sorte tyrannique lui-même, puisque l’existence de l’autorité qui a le pouvoir de tolérer attente à la liberté de penser cela même qu’elle tolère, et qu’ainsi elle pourrait ne pas tolérer. […] Nul ne peut être troublé dans sa religion ; et pourquoi ? Parce qu’il y a toujours eu diverses opinions. La diversité des opinions résulte nécessairement de la diversité des esprits, et l’on ne peut empêcher cette diversité. Donc cette diversité ne peut être attaquée. Mais alors le libre exercice d’un culte quelconque est un droit de chacun […] .

Je soutiens donc l’article de M. de Castellane ; et, sans entrer en aucune manière dans le fond de la question, je supplie ceux qui anticipent par leurs craintes sur les désordres qui ravageront le royaume si l’on y introduit la liberté des cultes, de penser que la tolérance, pour me servir du mot consacré, n’a pas produit chez nos voisins des fruits empoisonnés, et que les protestants, inévitablement damnés dans l’autre monde, comme chacun sait, se sont très passablement arrangés dans celui-ci, sans doute par une compensation due à la bonté de l’Être suprême. Nous, qui n’avons le droit de nous mêler que des choses de ce monde, nous pouvons donc permettre la liberté des cultes, et dormir en paix.

23 août

[…] On nous dit que le culte est un objet de police extérieure ; qu’en conséquence il appartient à la société de le régler, de permettre l’un et de défendre l’autre. Je demande à ceux qui soutiennent que le culte est un objet de police, s’ils parlent comme des catholiques ou comme législateurs. S’ils font cette difficulté comme catholiques, ils conviennent que le culte est un objet de règlement ; que c’est une chose purement civile ; mais si elle est civile, c’est une institution humaine ; si c’est une institution humaine, elle est faillible ; les hommes peuvent la changer : d’où il suit, selon eux, que le culte catholique n’est pas d’institution divine, et, selon moi, qu’ils ne sont pas catholiques. S’ils font la difficulté comme législateurs, comme hommes d’état, j’ai le droit de leur parler comme à des hommes d’état, et je leur dis d’abord qu’il n’est pas vrai que le culte soit une chose de police, quoique Néron et Domitien l’aient dit ainsi pour interdire celui des chrétiens.

Le culte consiste en prières, en hymnes, en discours, en divers actes d’adoration rendus à Dieu par des hommes qui s’assemblent en commun, et il est tout-à-fait absurde de dire que l’inspecteur de police ait le droit de dresser les oremus et les litanies. Ce qui est de la police, c’est d’empêcher que personne ne trouble l’ordre et la tranquillité publique. Voilà pourquoi elle veille dans vos rues, dans vos places, autour de vos maisons, autour de vos temples ; mais elle ne se mêle point de régler ce que vous y faites ; tout son pouvoir consiste à empêcher que ce que vous y faites ne nuise à vos concitoyens. […]

Veiller à ce qu’aucun culte, pas même le vôtre, ne trouble l’ordre public, voilà votre devoir ; mais vous ne pouvez pas aller plus loin. On vous parle sans cesse d’un culte dominant. Dominant ! Messieurs, je n’entends pas ce mot, et des hommes qui ont assuré le droit de liberté ne revendiquent pas celui d’oppression. Est-ce le culte du prince que l’on veut dire ? Mais le prince n’a pas le droit de dominer sur les consciences, ni de régler les opinions. Est-ce le culte du plus grand nombre ? Mais le culte est une opinion ; tel ou tel culte est le résultat de telle ou telle opinion. Or les opinions ne se forment pas par le résultat des suffrages ; votre pensée est à vous ; elle est indépendante, vous ne pouvez pas l’engager.

Enfin une opinion qui serait celle du plus grand nombre n’a pas le droit de dominer. C’est un mot tyrannique qui doit être banni de notre législation ; car si vous l’y mettez dans un cas, vous pouvez l’y mettre dans tous : vous aurez donc un culte dominant, une philosophie dominante, des systèmes dominants. Rien ne doit dominer que la justice ; il n’y a de dominant que le droit de chacun : tout le reste y est soumis. Or c’est un droit évident, et déjà consacré par vous, de faire tout ce qui ne peut nuire à autrui.

Œuvres et discours de Mirabeau, Tome I, 1789 – P 212 à 217