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Libérer la parole des élèves par l’improvisation

« Je suis comédien, pas magicien. Je ne peux pas changer les esprits », prévient le comédien Ismaël Habia lorsqu’il est appelé par une enseignante de lycée peu après les attentats de janvier 2015. Dans l’établissement, où la minute de silence en hommage aux victimes de l’attentat du 7 janvier avait été émaillée d’incidents, notamment de sifflets et de remarques contre le slogan « Je suis Charlie », l’équipe éducative souhaitait mener une action sur la liberté d’expression. Ismaël Habia, improvisateur depuis plus de 10 ans, se sent légitime pour intervenir sur ce thème « mon métier, c’est de caricaturer ! ». Sa troupe accepte de jouer deux spectacles, bien qu’elle même très affectée par la disparition des dessinateurs.

Le jour de la représentation, première surprise : il n’y a que quelques élèves de seconde dans la salle. Les comédiens se trouvent donc face à des adolescents un peu plus âgés que prévu. Ils démarrent la séance de théâtre interactif en leur demandant « la liberté d’expression, c’est quoi pour vous ? » Ils jouent ensuite des saynètes outrancières en fonction des réponses des élèves qui en viennent à préciser leur définition et à dire tout haut ce qu’ils pensent tout bas. « Pour moi, la pire des choses, c’est que tout cela reste dans leurs têtes. Il faut qu’ils puissent dire les choses afin qu’on puisse contre argumenter », explique Ismaël Habia. Dans la salle, quelques voix défendent l’humoriste controversé Dieudonné :

« Un bon exemple, il permet d’introduire la notion centrale du cadre légal et de bien montrer en quoi Dieudonné l’a dépassé. En revanche, ils ont bien compris que les dessinateurs de Charlie, eux, n’avaient rien fait d’illégal ».

Et quand les élèves expriment leur désaccord avec la législation, Ismaël Habia leur répond qu’ils ont un instrument pour faire bouger le cadre légal : le vote.

La valeur de l’écoute

« Je n’ai aucun tabou » souligne le comédien. Sa posture d’intervenant lui permet donc d’aborder le sujet de la religion sans problème. Il a imaginé des métaphores parlantes face aux jeunes qui se sentaient heurtés par les caricatures du Prophète :

« J’explique aux élèves que chaque religion est une association, ni plus ni moins. Comme pour les fédérations de sport, chaque association dispose d’un règlement intérieur que les adhérents respectent. Pour l’islam, c’est le Coran. Maintenant, quand tu joues au foot, les règles du basket, tu ne t’en préoccupes pas et il n’est pas question que les basketteurs imposent leurs règles ».

Et à ceux qui estimaient ne pas pouvoir échapper à ces caricatures, le comédien répond :

« Et les publicités de supermarchés alors ? Elles viennent tenter de vendre du jambon et du saucisson, interdits par la religion musulmane, jusque dans vos boîtes aux lettres ! Et jamais vous ne vous êtes dit qu’ils venaient vous provoquer jusque chez vous ? Non, vous comprenez qu’elle ne vous est pas destinée. Ou alors, vous fantasmez secrètement de manger du saucisson ! » Parfois les élèves sont choqués « ils trouvent mes réactions bizarres, surtout pour un musulman pratiquant comme moi ».

Après cette intervention, Ismaël Habia à l’impression « d’avoir fait son travail », mais il estime que beaucoup reste à faire.

« Ce n’est pas suffisant. Tous ne sont pas repartis convaincus. Et nous ne pouvons pas, malheureusement, intervenir dans tous les établissements ».

Aussi, il met en place une session de formation dédiée aux enseignants. Objectif : « leur donner des outils pour qu’ils travaillent la prise de parole des élèves, que les jeunes disent ce qu’ils ont dans la tête ». Sur quatre demi-journées, il leur apprend des exercices simples d’improvisation.

« Les comédiens ne sont qu’un maillon de la chaîne. Nous intervenons ponctuellement une ou deux fois dans l’année. Les enseignants, eux, sont face aux élèves tous les jours ».

Des professeurs de différentes disciplines suivent le stage, dont « un de maths, et un professeur d’atelier en lycée professionnel » se réjouit Ismaël Habia. Pour lui, l’improvisation est un bon outil d’expression. D’abord parce qu’il est accessible : « les jeunes viennent comme ils sont, il n’y a pas besoin de compétences particulières requise pour faire de l’impro ». Ensuite, cet exercice présente « deux valeurs pédagogiques fondamentales : l’acceptation de l’autre, sans qui je ne peux pas jouer, et l’écoute, parce que si je n’écoute pas ce qu’on me dit, je ne peux pas poursuivre mon jeu ».

Selon le comédien, les théories du complot représentent un prochain chantier titanesque. En attendant, il n’espère qu’une chose :

« ne plus intervenir dans un contexte post-attentat, qu’on continue d’en parler au passé ».