Accueil Religions Monothéismes « Les Hérétiques », une grande pièce sur la liberté de conscience

« Les Hérétiques », une grande pièce sur la liberté de conscience

Du théâtre – mais pas que du théâtre – pour se confronter à de grandes questions qui travaillent l’histoire humaine : les religions, les cléricalismes, la laïcité, la spiritualité… C’est ce qu’a proposé entre octobre et décembre 2018 François Rancillac, directeur du Théâtre de l’Aquarium à la Cartoucherie de Vincennes. Au centre du dispositif se trouve la pièce « Les Hérétiques » écrite par Mariette Navarro, une dramaturge de 38 ans. 

Autour du spectacle gravitaient toutes sortes d’animations. Ainsi, le 13 octobre, Lola Petit, de l’association « Enquête », animait un atelier sur la façon d’aborder le fait religieux avec les élèves. Professeurs de lettres, d’histoire, de philosophie… ont expérimenté eux-mêmes des serious games sur la notion de savoir et la notion de croire, pas toujours si faciles à distinguer l’une de l’autre. Exemple d’exercice de pensée : y a-t-il des tables dans le hall du théâtre ? Les profs, qui sont dans la salle fermée, répondent « oui, nous les avons vues en entrant » ; l’animatrice rétorque « mais peut-être ont-elles été enlevées depuis ? » ; les profs admettent que c’est possible ; conclusion : à moins de vérifier de visu que les tables sont encore là, il faut admettre que l’on croit seulement qu’elles y sont, avec de fortes probabilités d’avoir raison. Les jeux se succèdent et l’animatrice fait apparaître à quel point les deux registres du croire et du savoir sont à la fois distincts et imbriqués, mais en aucun cas hiérarchisés. Se savoir aimé, c’est en réalité se croire aimé : l’amour est-il pour autant moins important qu’un savoir comme « l’eau gèle à 0 degré » ?

Plusieurs débats ont aussi été organisés au fil des semaines comme « La psychanalyse face à la montée des discours qui excluent », « Liberté, laïcité : un dilemme », « La chasse aux sorcières est-elle finie ? ». Le 4 décembre, avant la représentation des « Hérétiques », une soixantaine de lycéens juchés sur deux grands escaliers ont lu le célèbre discours « l’Eglise chez elle, l’Etat chez lui » prononcé par Victor Hugo le 14 janvier 1850 à la Chambre des Députés.

Après cette mise en condition, les jeunes assistent à la pièce avec une intensité particulière. Drôle de pièce, jouée par cinq femmes, parfois dans le noir complet, parfois dans la pénombre, parfois dans la lumière des flammes ou dans une lueur aveuglante. Qui sont les « Hérétiques » ? Trois femmes mystérieuses, comiques et effrayantes, qui complotent pour en finir avec la religion. Elles sont rejointes par une femme ordinaire qui cherche juste à s’engager contre l’emprise toujours plus forte des religieux. Personne n’est plus parano que les comploteurs et les trois harpies vont soumettre la malheureuse aux pires tourments pour s’assurer qu’elle ne nourrit pas une secrète sympathie pour les croyants. À plusieurs reprises, elle sera tirée d’affaire par une jeune fille nimbée de lumière et voilée de bleu. Le spectateur découvre petit à petit que les trois « hérétiques » sont des sorcières conduites jadis au bûcher, et la jeune fille une martyre chrétienne livrée aux lions dans la Gaule romaine, Blandine. Dès lors, le passé et le présent s’entremêlent, avec les ingrédients de toujours, l’intolérance, la cruauté, mais aussi l’aspiration au sacré et à la liberté de conscience. Les jeunes n’en perdent pas une miette, à la fois déstabilisés et réjouis par un texte très beau et très malin, car inclassable.