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Le vivre-ensemble passe (aussi) par la lecture

par Louise Gamichon

Si la lecture est une activité solitaire, elle a démontré qu’elle peut participer à la cohésion d’un groupe. L’association « Silence, on lit ! » propose des temps de lecture quotidiens dans des établissements scolaires. Les relations entre enfants et avec les adultes s’en trouvent transformées. Zoom sur cette initiative qui peut être reproduite au sein d’une entreprise ou d’une administration.

Lire pour mieux vivre ensemble, l’association d’idées n’est pas évidente de prime abord. Pourtant, elle le devient lorsque le réalisateur Olivier Delahaye, co-fondateur de l’association « Silence, on lit ! », assiste à cette scène dans un lycée francophone à Ankara, en Turquie :

« Vers 13h35, tout s’arrête. Chacun sort un livre et lit pendant une dizaine de minutes. Pas seulement les élèves. Les enseignants, la directrice, le gardien, le cuisinier, les agents d’entretien, tout le monde se met à lire ». Olivier Delahaye raconte son expérience. « J’ai été frappé par les rapports entre élèves et adultes, et même ceux des enfants entre eux. Ils échangent, on sent qu’ils ont une communication qui dépasse les liens hiérarchiques et qu’ils vivent un vrai moment de partage autour de la lecture en silence », explique-t-il.

De retour en France, Olivier Delahaye souhaite partager l’expérience. Avec la directrice du lycée Tevfik Fikret d’Ankara, Ayşe Başçavuşoğlu, et Danièle Sallenave de l’Académie Française, ils fondent l’association « Silence, on lit ! » pour faire connaître et mettre en place le dispositif en France.

Un collège à Banon (Alpes de Haute-Provence) tente l’expérience avec succès. Des écoles primaires, des collèges et des lycées d’autres régions se lancent. « Les règles sont simples, mais elles demandent un peu d‘organisation », explique Olivier Delahaye.

« Ce moment est conçu pour faire de la lecture un moment de plaisir, on lit donc un livre de son choix, mais pas de livre scolaire, ni de journaux ».

Dans l’idéal, le moment est partagé par tous, mais cela demande de définir un créneau horaire. L’approvisionnement en livres n’est pas non plus assuré de la même manière partout en France.

« Nos interventions pour mettre en place le dispositif servent à cela : expliquer les règles à l’équipe pédagogique, orienter les élèves et leurs parents sur les endroits où ils peuvent trouver des livres ou comment ces livres sont classés », indique Olivier Delahaye.

Essaimer le projet, diversifier les lectures

L’association « Silence, on lit ! » souhaite créer un réseau entre les établissements qui instaurent ce temps de lecture.

« Les enfants adhèrent, mais il arrive qu’il y ait des difficultés. Certains élèves ont besoin d’être accompagnés dans ce moment de lecture pour diverses raisons. Nous pouvons aider l’école à trouver un adulte pour épauler un enfant dyslexique par exemple, ou la mettre en contact avec un comédien qui interprète un texte pour le faire découvrir à tous les enfants ».

L’âge peut-il être un facteur qui empêche de mettre en place le moment de lecture ? « Pas du tout. On peut lire à haute voix aux enfants qui apprennent à lire. On voit aussi des élèves des grandes classes venir partager leurs livres et leurs lectures avec des plus petits. On voit de beaux moments d’échange », raconte Olivier Delahaye, qui souligne que « le dispositif est assez libre. Les lectures le sont aussi, ce qui induit du plaisir à lire ».

L’association a mené une première évaluation de l’expérience. Les enfants se concentrent mieux, apprennent à mener une activité dans la longueur, ils se cultivent et s’ouvrent sur le monde et sur les autres. Certains élèvent se mettent à lire le soir et pendant les vacances.

Olivier Delahaye constate d’autres bienfaits : « Les enfants accordent une importance positive au silence. Ils prennent le .temps, tous ensemble. Les tensions entre eux baissent, ils sont plus calmes. L’objet livre invite aux discussions, ils découvrent les goûts littéraires d’adultes autour d’eux »

Une fois le temps de lecture installé, Olivier Delahaye aimerait aller plus loin dans le dispositif : « Un premier frein vis-à-vis de la lecture est levé, mais peu d’élèves lisent des classiques. Nous aimerions mener un travail pour les initier à ces lectures, avec un comédien par exemple ». L’association a bien d’autres idées pour essaimer le dispositif dans les entreprises ou les administrations. Mais tout cela dépendra des financements qu’elle pourra trouver.

“Les enfants aiment beaucoup lire”

À l’école Saint-Thérèse de Lorient (Morbihan), le directeur Alexandre Le Pabic a proposé ce temps de lecture qu’il trouve essentiel pour « remettre le livre au centre de l’école », mais aussi améliorer la concentration, enrichir le vocabulaire et développer l’imagination des élèves. Il l’a fait inscrire dans le projet d’établissement après avoir rencontré un accueil enthousiaste des enseignants. Tous les jours, au retour de la pause méridienne, vers 13h30 enfants et enseignants lisent pendant un quart d’heure. Une petite réorganisation est en cours pour que les salariés – personnels de cantine, secrétariat – bénéficient eux aussi de ce moment.

Les 150 élèves ont tellement adhéré au dispositif qu’ils le réclament au retour des vacances. Chacun dispose toujours d’un livre dans son cartable. Les enfants handicapés de la classe d’inclusion Ulis participent eux aussi. Alexandre Le Pabic a constaté très rapidement des progrès sur la concentration des enfants : « ce temps est bénéfique pour les apprentissages, les enfants entrent plus facilement dans l’après-midi. Du côté des enseignants aussi on apprécie ce moment de lecture qui est un petit temps pour les enfants, mais aussi pour eux ».Le directeur cherche désormais des alternatives pour proposer un temps de lecture aux maternelles après l’heure de la sieste.

Lorsque le dispositif a été lancé à la rentrée 2016, Alexandre Le Pabic a réuni les parents d’élèves pour le leur expliquer et appeler à un don de livres pour la bibliothèque de l’école. Tous les mois, ou mois et demi, l’équipe éducative organise une sortie à la médiathèque qui se trouve non loin de l’établissement pour que chacun puisse faire le plein de nouveaux ouvrages.

« Beaucoup lisent des romans, mais d’autres préfèrent des livres spécialisés sur un thème qui les passionne. Dans un deuxième temps, hors de ce quart d’heure de lecture, les élèves présentent un livre qu’ils ont terminé, ils partagent leurs impressions et conseillent les autres. Ils apprécient de parler de leurs lectures », indique Alexandre Le Pabic.

Selon les premiers retours des élèves et de leurs parents, le directeur voit beaucoup d’avantages à ce temps de lecture : « ça fonctionne. En fait, les enfants aiment beaucoup lire, des relations littéraires naissent, ils lisent plus souvent à la maison ». Le directeur confie d’ailleurs que la bibliothèque de l’établissement va bientôt devenir trop petite. L’enthousiasme des élèves, de leurs parents et des enseignants, lui, n’a de cesse d’augmenter. Alexandre Le Pabic souligne que leur implication à tous est essentielle dans la réussite du projet.


En savoir plus sur le dispositif :