Accueil Laïcité Comprendre les signes religieux

Comprendre les signes religieux

Qu’est-ce qu’un signe religieux ?

Avant d’être religieux, un signe est « d’abord quelque chose qui “signifie”, qui a un sens pour un destinataire donné », indique Agnès Guiderdoni, spécialiste de l’histoire des représentations symboliques et figurées à l’Université catholique de Louvain. Concernant les signes religieux, ils s’adressent à « une communauté donnée – communauté qui peut être très large ou très restreinte. Il peut s’agir d’un objet, d’un geste, d’un vêtement, d’un rite, etc. »

« Ce qui est compliqué, ce ne sont pas les signes en eux-mêmes, mais, comme beaucoup d’autres choses qui font polémique, l’usage qui en est fait d’une part, et la perception que l’on en a d’autre part », poursuit Agnès Guiderdoni.

Elle donne l’exemple d’une croix portée autour du cou. En tant que telle, elle peut passer pour un simple bijou. Mais brandie devant les passants à grand renfort d’exhortations, le geste peut paraître agressif « ensuite, il risque bien d’y avoir une sorte de contamination sur l’objet même », les passants pourront s’en rappeler et associer les croix à des pratiques agressives.

« Le fait que le signe religieux prenne la forme d’un objet prête également à des perceptions, au mieux variées, au pire opposées, en raison de la tension entre l’objet en tant que chose et l’objet en tant que signe. Pour les uns, l’objet ne sera qu’un objet, tandis que pour d’autres, il sera signe religieux ».

En 2015, la communauté bouddhiste avait réagi suite à la commercialisation d’un abattant pour toilettes sur lequel était imprimé le visage du Bouddha. Les magasins distribuant ce produit n’y voyaient qu’une décoration « zen » et l’ont rapidement supprimé de leurs rayons après la plainte de fidèles bouddhistes.

Quelles sont les caractéristiques de ces signes ?

« Certains signes religieux présentent la particularité pour les croyants d’avoir été institués par Dieu, et d’avoir ainsi été désignés aux hommes comme signe de la présence et de la puissance divine, comme signe sacré », explique Agnès Guiderdoni.

Elle distingue cependant deux fonctions principales des signes religieux :

  • L’une, transcendante, « qui renvoie à la fonction de communication avec la divinité ; il s’agit alors de phénomènes perçus comme relevant d’une action divine. Y sont associés en particulier les miracles, les prodiges ainsi que les présages, les augures (la lecture de signes dans des phénomènes naturels pour prédire l’avenir et déterminer la conduite des hommes). De même, les objets utilisés pour le culte et dans la liturgie sont investis de telle sorte à devenir des signes de la présence ou de la puissance divine ».
  • L’autre, immanente, régissant les « relations internes et externes de la communauté » : « Elle renvoie à une fonction plutôt socio-culturelle. Ce sont toutes les choses qui, à l’extérieur de la communauté, représentent et signifient telle ou telle confession, et permettent donc de l’identifier, de la faire connaître au reste de la société (une croix, un foulard, un turban, un tatouage, une étoile de David, des scarifications, etc.) ; à l’intérieur de la communauté d’autre part, toutes les choses qui permettent aux membres de la communauté de se reconnaître entre eux ainsi que d’identifier des éléments du rite ou de la doctrine pour certains usages ». 

Il arrive que certains signes mélangent ces deux fonctions, comme la circoncision, qui n’a d’ailleurs pas la même signification dans le judaïsme, où elle signifie l’alliance des Hébreux avec Yahvé, et dans l’islam, où il s’agit plutôt d’un rite de passage à la vie d’adulte. Tous les hommes circoncis ne sont pas pour autant croyants. De nos jours, ce geste est parfois purement clinique et ne s’accompagne d’aucun rite ni d’aucune signification spirituelle.


Transcendant/Immanent :
Le transcendant dépasse un ordre donné. Il « s’élève au-dessus de » parce qu’il appartient à un ordre supérieur. Le Dieu des monothéismes illustre souvent la notion de transcendance.
L’immanent correspond à un ordre donné et place les choses à l’intérieur de cet ordre sur le même plan. Il n’implique pas d’action extérieure.

Quelle différence avec les signes profanes ?

« Les signes religieux ne sont pas différents des signes en général, en ce qu’ils servent à signifier et à transmettre quelque chose à l’intérieur comme à l’extérieur d’une communauté donnée. Ils assument de manière large les fonctions de reconnaissance et d’identification », indique Agnès Guiderdoni.

Par exemple, le turban sikh permet aux fidèles de ce monothéisme originaire du Penjab, une région située entre l’Inde et le Pakistan, de se reconnaître. Il est aussi considéré comme une protection des cheveux, que les sikhs ont interdiction de couper par respect pour la création divine. De nos jours, le turban peut constituer un simple accessoire de mode qu’il n’est pas rare de trouver sur les podiums lors de défilés.

« Ce qui les différencie, c’est la croyance qui y est attachée, et plus précisément encore, la valeur sacrée, ce qui transforme toute atteinte à ces signes en sacrilège, voire en blasphème. Et c’est ici que se trouve la complication puisque la croyance de l’un n’est pas celle de l’autre ».

Et de préciser : « Il est tout à fait significatif qu’on dise “profaner” pour signifier un acte qui ne respecte pas cette valeur sacrée. Le fait que les signes religieux soient d’institution divine les place évidemment à part, d’un point de vue ontologique et pragmatique ». 

Quid des symboles ?

Signes et symboles religieux ne sont pas très différents : « D’un point de vue sémiotique, le symbole est une catégorie particulière de signe, qui a aussi pour fonction de signifier, à destination d’une communauté ». En revanche, contrairement au signe, le symbole n’a pas d’origine divine. Il est « en général imaginé par les hommes pour communiquer entre eux et vers l’extérieur ». Agnès Guiderdoni prend l’exemple du poisson, symbole codé de ralliement des premiers chrétiens dans les catacombes romaines. À l’époque, on parlait autant le grec que le latin. Or, le mot « poisson », « ictus » en grec, correspond à l’acronyme de « Jésus Christ fils de Dieu, sauveur » (« Iessous Christos Theou Yios Soter »). Aujourd’hui encore, dans certaines églises catholiques, on peut trouver des motifs ornementaux en forme de poisson.

Agnès Guiderdoni précise :

« On pourrait s’interroger sur le statut de certains signes qui dans certains cas ou contextes peuvent être considérés ou traités comme des signes, et dans d’autres comme des symboles ».

De manière générale, les symboles religieux répondent à « une fonction plus pragmatique et plus directement liée à la communication, mais aussi à la représentation synthétique d’une religion ou de certaines de ses valeurs ». Par exemple, selon une iconographie assez ancienne, la charité chrétienne, c’est-à-dire l’amour chrétien est représenté par un coeur enflammé ou par un cœur surmonté d’une croix.

Que dit le droit ?

Il n’existe pas de définition précise d’un signe religieux dans la législation française, indique Jean-Marie Woehrling, ancien président du Tribunal administratif de Strasbourg qui préside aujourd’hui l’Institut de droit local alsacien-mosellan. Les tribunaux peuvent donc rendre des avis contradictoires au cours d’une même affaire.

En l’espace d’une semaine, en mars 2013, deux décisions opposées ont été rendues concernant une collégienne qui portait un large bandeau dans son établissement et refusait de l’ôter. Elle-même estimait qu’il s’agissait d’un simple accessoire de mode. Le tribunal administratif de Melun avait demandé la réintégration de l’élève dans son établissement, le Conseil d’État a, pour sa part, jugé que le bandeau constituait bien un signe religieux, confirmant le renvoi de la jeune fille.

Jean-Marie Woehrling note une évolution dans les décisions rendues : « le concept de signe religieux constituait une protection supplémentaire pour la personne qui le portait », et ce, en conformité avec les droits fondamentaux qui garantissent la liberté de croire ou de ne pas croire et de le manifester en public comme en privé. Aujourd’hui, le signe religieux est « moins bien protégé que celui qui ne l’est pas ».

Autre glissement : après la loi restreignant le port des signes religieux à l’école [Loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics], le législateur « a quitté le terrain de la laïcité pour se placer sur celui de la sécurité publique, comme le montre l’adoption de la loi de 2010 sur la dissimulation du visage sur l’espace public ». Jean-Marie Woehrling remarque que

« quel que soit le pays, la situation s’est dégradée. En France, l’attitude restrictive n’a pas résolu les problèmes. Ailleurs, les attitudes libérales n’ont pas réglé les problèmes non plus ».

Pour sortir de l’impasse, le spécialiste du droit appelle à sortir d’un climat de surenchère afin de « retrouver un contexte de confiance réciproque ». Pour ce faire, il est possible de s’inspirer de l’évolution du droit du travail applicable dans les entreprises privées : il n’entre ni sur le terrain de la laïcité – qui ne s’y applique pas – ni sur celui de l’ordre public. Ce droit prend en compte l’organisation pratique du travail, l’hygiène, le bon fonctionnement de l’entreprise. Cependant, la nouvelle Loi Travail du 8 août 2016 ne va pas dans ce sens : elle autorise les entreprises à inscrire la neutralité dans leur règlement intérieur. Les critères permettant de restreindre la manifestation des convictions des salariés sont désormais plus larges qu’auparavant.


Prolonger la réflexion :

  • Abécédaire des signes et symboles religieux, Patrick Banon, Flammarion, 2008.
  • Une histoire du voile, Le Monde des Religions, N°79, septembre-octobre 2016.
  • « Qu’est-ce qu’un signe religieux ? », Jean-Marie Woehrling, Revue Société, droit et religion, N°2, 2012.
  • « Signes et emblèmes », Agnès Guiderdoni, Dictionnaire des faits religieux, Puf, 2010.